Les nouvelles technologies au service de la santé

Biotechnologies, e-santé, robotique chirurgicale, impression de prothèses en 3D…, les nouvelles technologies entraînent une véritable révolution médicale. Non sans soulever quelques questions éthiques.

Par  Marie-Céline Ray

Du numérique aux biotechnologies en passant par la robotique, les sciences innovent pour apporter de meilleurs traitements aux malades. La modification du vivant a ouvert de nouvelles possibilités pour traiter des maladies graves. Les patients sont de plus en plus connectés. Ils bénéficient d’une grande variété d’applications qui les aident à se maintenir en forme. Tandis que les robots ont fait leur entrée dans les salles d’opération, des imprimantes 3D fabriquent des prothèses, des tissus et bientôt, qui sait, des organes.

Le déploiement des nouvelles technologies ne risque-t-il pas d’exclure certains patients des soins ou, inversement, constitue-t-il une chance pour améliorer l’accès aux soins ? Et quelles sont les questions éthiques auxquelles devront répondre les différents pays face à ces technologies nouvelles ?

L’innovation au service de la santé

Après l’avènement de la chimie et la recherche de nouvelles molécules thérapeutiques, les nouvelles technologies ont apporté bon nombre d’innovations pour la santé. Les biotechnologies, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, la robotique, les sciences de l’ingénieur, le numérique…, toutes ces disciplines concourent à créer une médecine de pointe.

Thérapie génique et immunothérapie

Depuis quelques années, la révolution biotechnologique vient des techniques d’édition du génome. Ces outils consistent à utiliser des “ciseaux moléculaires” tels que CRISPR (clustered regularly interspaced short palindromic repeat) ou TALEN (transcription activator-like effector nucleases). L’édition génomique permet de créer des thérapies géniques personnalisées. La modification génétique des cellules offre un espoir pour de nombreux patients souffrant de cancers, grâce à l’immunothérapie.

En août 2017, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (US Food and Drug Administration, FDA), qui fournit les autorisations pour les médicaments, a ainsi approuvé la mise sur le marché d’une thérapie génique contre la leucémie, le Kymriah, du laboratoire suisse Novartis. Le principe repose sur une médecine personnalisée. Des cellules immunitaires du patient sont prélevées et modifiées génétiquement pour être capables de s’attaquer à la leucémie. Ces cellules sont appelées “cellules CAR-T”. D’après la FDA, lors d’un essai clinique portant sur 63 patients, le taux de rémission a atteint 83% dans les trois premiers mois du traitement. Chaque traitement représente néanmoins un coût de près de 400 000 euros.

Les robots-chirurgiens entrent dans les salles d’opération

En chirurgie, la robotique est de plus en plus présente auprès des médecins. En septembre 2017, au centre hospitalier universitaire (CHU) d’Amiens, un enfant souffrant d’une grave scoliose a par exemple été opéré à l’aide d’un robot-chirurgien composé d’un bras, d’un ordinateur et d’une caméra. L’opération consistait à poser des vis et des crochets pour redresser son dos. Le robot permet de faire de plus petites incisions pour une opération très délicate.

L’utilisation de la robotique en salle d’opération ouvre la possibilité d’opérer à distance. C’est ainsi qu’en 2001 le professeur Jacques Marescaux, pionnier de la chirurgie robotique, a opéré depuis New York une patiente du CHU de Strasbourg, pour une ablation de la vésicule biliaire. Cette première fut baptisée “l’opération Lindbergh”, en référence au premier vol au-dessus de l’Atlantique de Charles Lindbergh, en 1927.

Si les robots-chirurgiens apparaissent comme un progrès médical, ils nécessitent aussi des médecins bien formés. De manière générale, le robot ne doit pas être conçu pour remplacer l’homme mais pour l’assister. Psychologiquement, il reste néanmoins difficile d’accepter d’être opéré par une machine sans le contrôle d’un médecin…

Des médicaments et des tissus imprimés en 3D

L’impression 3D trouve d’innombrables applications en santé, à commencer par la pharmacie avec l’impression de médicaments sur mesure. De la même façon qu’à partir d’une ordonnance un pharmacien peut préparer un médicament personnalisé à l’aide des ingrédients présents dans son officine, l’impression 3D pourrait bientôt créer des médicaments sur mesure. Cette méthode permettrait aussi d’ajuster la dose en fonction du patient.

En 2015, la FDA a donné une autorisation pour un médicament imprimé en 3D, un antiépileptique. Dans ce cas, la technologie développée au Massachusetts Institute of Technology (MIT) a permis un assemblage particulier du médicament, couche par couche.

Si l’impression 3D de médicaments appartient encore à la pharmacie du futur, les imprimantes 3D ont déjà fait leurs preuves pour la fabrication de prothèses sur mesure. Mais l’impression 3D pourrait aller encore plus loin à l’avenir et produire des tissus à greffer : du cartilage pour traiter des articulations abîmées ou de la peau pour fabriquer des greffons. L’impression 3D d’organes apporterait une solution au manque de donneurs, tout en limitant le risque de rejet, puisque les cellules utilisées peuvent venir du patient.

Une santé de plus en plus high-tech et connectée

Un autre champ important est en train de bouleverser les relations entre patients et personnels médicaux : l’e-santé. Il s’agit de l’ensemble de services liés à la santé qui utilisent les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

La télésanté, ou e-santé, utilise internet, des applications pour smartphones et/ou des objets connectés. En 2016, le Concours Lépine a récompensé une application d’e-santé consacrée aux patients diabétiques, pour leur permettre de mieux suivre leur traitement. Cette application pour smartphone fournit aux diabétiques le taux d’insuline exact à s’injecter en fonction de leur activité, de leur alimentation et de leur glycémie.

Les smartphones ne sont cependant pas les seuls objets connectés utilisés par l’e-santé. Les bracelets connectés et les traqueurs d’activité ont le vent en poupe. Pratiques, légers, ils proposent de suivre l’activité physique quotidienne des utilisateurs et les incitent à bouger davantage pour être en meilleure santé.

Les montres connectées s’inscrivent elles aussi dans cette dynamique. Par exemple, l’application Cardiogram pour la montre connectée d’Apple (Apple Watch) mesure le rythme cardiaque toutes les cinq minutes et détecte ainsi des anomalies, comme une arythmie due à une fibrillation. L’application Santé d’Apple se propose quant à elle de rassembler les informations sur la santé des détenteurs d’iPhone ou d’Apple Watch (alimentation, activité physique, sommeil…).

À l’ère des mégadonnées (big data), toutes les données transitant par les objets connectés ou les systèmes de santé pourraient aussi aider chercheurs et médecins dans leurs travaux. La multiplication des applications comme la collecte des données chez le médecin et le pharmacien a augmenté considérablement la masse d’informations existant dans le domaine de la santé. L’ensemble de ces données représente une manne pour les chercheurs.

En France, les données des remboursements de frais de santé sont collectées par le Système national d’information interrégimes de l’assurance maladie (SNIIRAM). Un autre système, le Système national des données de santé (SNDS), rassemble des données de santé mises à disposition de chercheurs, après avoir été rendues anonymes.

De tels fichiers permettent de dresser le tableau de prévalence d’une maladie au sein de la population, d’identifier des facteurs de risque de maladie ou de vérifier l’efficacité des traitements. L’analyse de ces données pourrait aider à éviter d’importants problèmes sanitaires, comme celui du Mediator, en repérant des effets indésirables de certains médicaments.

Enfin, les nouvelles technologies peuvent aussi aider au traitement de certains troubles, grâce aux “jeux sérieux” (serious games). Par exemple, en kinésithérapie, la réalité virtuelle peut permettre à un patient une rééducation autonome grâce à un casque qui l’emmène dans un espace virtuel pour l’aider à effectuer des mouvements.

Des nouvelles technologies qui rapprochent ou éloignent des soins

La barrière du prix

Si les nouvelles technologies pour la santé peuvent représenter un progrès pour venir à bout de certaines maladies jugées incurables jusqu’alors, le coût de ces nouveaux traitements soulève un certain nombre de problèmes.

Ainsi, la thérapie génique peut faire des prouesses et redonner la vue à des personnes souffrant d’une rare forme génétique de cécité. Après l’autorisation aux États-Unis du Kymriah, la FDA a donné son accord pour l’utilisation du Luxturna, une thérapie génique contre une dégénérescence génétique rare de la rétine. Mais pour ne pas devenir aveugle, il en coûte 425 000 dollars par œil, et plus de 700 000 euros pour les deux yeux… De même, la robotisation de la chirurgie nécessite des investissements élevés qui ne sont pas à la portée de tous les hôpitaux dans le monde.

Un meilleur accès au diagnostic et aux soins

Les nouvelles technologies peuvent aider à réaliser des diagnostics à moindre coût. Sont par exemple à l’étude des systèmes inspirés du smartphone permettant de diagnostiquer des maladies dans des régions qui ne disposent pas des dernières technologies médicales.

Aux États-Unis, des scientifiques du Massachusetts General Hospital ont imaginé un appareil, le D3 System, relié à un smartphone, qui enregistre des images. Les informations des cellules présentes dans un échantillon de sang ou un tissu peuvent être envoyées dans un centre de soins. Le D3 détecte rapidement les frottis cervicaux à haut risque de cancer. Lors des tests effectués avec ce système, les résultats des analyses étaient disponibles en moins d’une heure, pour un coût de moins de deux euros.

Une chance pour les déserts médicaux et les pays en développement

La téléconsultation permet quant à elle un meilleur accès aux soins. Elle représente un atout non négligeable pour des zones rurales et des pays en développement. En France, si le nombre de médecins semble important (environ 200 000), leur répartition sur le territoire demeure très inégale. La télémédecine apporte donc une solution aux déserts médicaux. Des maisons de santé déployées sur le territoire peuvent travailler en téléconsultation avec des hôpitaux et transmettent des données médicales (radiologies, résultats d’analyses…) afin d’éviter des transferts de patients parfois inutiles dans les services d’urgence.

L’essor de la téléphonie mobile dans les pays en développement permet également d’améliorer l’offre de santé grâce à la télémédecine. En Inde, un patient vivant dans une zone rurale peut retirer un médicament en pharmacie avec un SMS de prescription d’un centre de télémédecine. En Afrique, la télémédecine est utilisée comme outil de formation des étudiants.

De nouveaux rapports entre patients et médecins

Les nouvelles technologies de l’information modifient les relations entre le patient et le médecin, en premier lieu au travers de la télémédecine. Avec la téléconsultation, le médecin et le patient ne sont plus réunis dans la même pièce, ce qui peut introduire une distance psychologique en plus de l’éloignement physique. Le face-à-face entre le patient et le médecin s’en trouve modifié : à distance, le langage corporel est moins présent.

Avec la multiplication des sites internet consacrés à la santé, les patients sont en outre de plus en plus nombreux à chercher, avec un bonheur inégal, des informations en ligne et sur les réseaux sociaux. Face à cette masse d’informations, les centres médicaux développent leurs propres sites pour apporter des informations pertinentes aux malades.

Ces nouvelles technologies risquent aussi d’exclure certaines populations qui ne sont pas équipées ou qui ne sont pas à l’aise avec ces outils, comme les personnes âgées.

Vers une médecine globalisée en quête d’éthique

Quelle éthique dans un monde globalisé ?

Avec le développement des méthodes d’édition génomique, la modification génétique des embryons devient envisageable. Un cap a été franchi en 2015 en Chine quand, pour la première fois, des chercheurs de Canton ont modifié un gène responsable de la bêta-thalassémie chez des embryons humains. Certes, dans ce cas, les embryons n’étaient pas viables. Mais l’utilisation possible de ciseaux moléculaires comme CRISPR pour modifier des embryons suscite les inquiétudes de nombreux scientifiques dans le monde.

En 2015, des experts de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) ont demandé un moratoire sur ces méthodes de modification de l’ADN humain pour des raisons éthiques. En 2016, les autorités britanniques ont néanmoins donné leur feu vert pour des expérimentations de laboratoire sur des embryons humains qui utilisent l’outil CRISPR. La possibilité qu’un humain génétiquement modifié voie le jour ne semble donc pas définitivement écartée, sans parler des risques de dérives eugénistes.

La mise à disposition de tests génétiques pour le grand public pose de son côté de nombreuses questions éthiques. Si, en France, les tests génétiques sont réservés à certaines circonstances médicales précises, une entreprise américaine, 23andMe, commercialise ses tests génétiques aux particuliers. Depuis mars 2018, la société propose même un test génétique de dépistage du cancer du sein, qui cherche des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, souvent impliqués dans des cancers.

Ces tests inquiètent de nombreux scientifiques. Comment réagira une personne en bonne santé chez laquelle un risque génétique élevé est décelé ? Inversement, une personne avec un risque génétique faible se sentira-t-elle protégée et donc plus encline à avoir des comportements à risque ?

Nouvelles technologies et tourisme médical

Les nouvelles technologies biomédicales ne sont pas présentes partout dans le monde. Certains patients vont donc chercher ailleurs les soins innovants auxquels ils n’ont pas accès dans leur pays.

Dans le domaine de la procréation médicalement assistée (PMA), la réglementation varie grandement d’un pays à l’autre. On peut citer le cas des “bébés à trois parents”, dont seul le Royaume-Uni a autorisé la conception. Dans ce cas précis, il s’agit d’éviter la transmission de maladies mitochondriales de la mère à son enfant. En effet, dans une cellule, l’ADN se trouve essentiellement dans le noyau, mais il existe un peu d’ADN dans les mitochondries, les “usines énergétiques des cellules”.

Certaines maladies graves sont liées à des gènes mitochondriaux, qui sont transmis par la mère. Pour faire un “bébé à trois parents”, le noyau d’un ovocyte de la mère est inséré dans celui d’une donneuse, dans lequel le noyau a été retiré. Puis l’ovule est fécondé avec les spermatozoïdes du père. Le bébé aura donc de l’ADN mitochondrial d’une donneuse et les gènes parentaux dans le noyau de ses cellules.

En avril 2016, un bébé est né avec cette technique au Mexique, en l’absence de toute réglementation. La procédure a évité que la mère, porteuse d’une maladie mortelle, le syndrome de Leigh, ne la transmette à son bébé. Le couple a quitté les États-Unis pour le Mexique afin de donner naissance à cet enfant.

Cette technique soulève bien évidemment des questions éthiques, en raison de la présence de trois parents, même si l’ADN mitochondrial est très minoritaire. La technique est en outre controversée, car elle n’apparaît pas totalement sûre. On peut donc s’inquiéter que cette méthode soit utilisée par des cliniques privées, dans des pays sans réglementation.

Dans un autre domaine, les traitements de pointe contre le cancer comme l’immunothérapie ne sont pas partout disponibles. Certains patients lancent des appels aux dons pour obtenir les sommes nécessaires pour ces traitements “de la dernière chance” disponibles aux États-Unis.

Enfin, la pratique de la télémédecine au-delà des frontières soulève de nombreux problèmes tant en termes de responsabilité juridique que de traduction, les erreurs dans ce domaine pouvant mettre en danger la vie d’un patient.

Le problème de la confidentialité des données de santé à l’ère du big data

Avec la numérisation des données de santé se pose la question de leur confidentialité. Ce sujet a été abordé notamment en France lors des États généraux de la bioéthique de 2018. Le fait d’ouvrir les données (open data) irait à l’encontre du secret médical. Or, en février 2018, à la suite de contrôles réalisés sur la base SNIIRAM, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a mis en demeure l’Assurance maladie de renforcer ses moyens de sécurisation.

Les outils connectés ne font-ils pas courir le risque aux patients de voir regroupées l’ensemble de leurs données collectées ? Existe-t-il un risque qu’un jour un assureur connaisse les problèmes de santé de ses assurés et module leurs primes en fonction de leur risque de maladies ? Le secret médical a pour but de protéger les personnes malades afin qu’elles ne soient pas discriminées à cause de leur maladie.

Comment protéger efficacement ce secret à l’ère du big data ? Nombre de données, collectées à l’insu des patients lors de recherches sur internet ou par des objets connectés, pourraient être utilisées à des fins commerciales. Comment faire en sorte que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ne se les approprient ?

Qu’elles excluent ou rapprochent les patients des soins, les nouvelles technologies pour la santé constituent donc un domaine foisonnant d’innovations. Avec elles émergent de nouvelles et redoutables questions éthiques. Ces interrogations dépassent les frontières et ne peuvent être résolues uniquement à l’échelon national. De plus, elles mettent en cause des questions aussi fondamentales que l’égalité dans l’accès aux soins, les limites de la science dans l’intervention sur l’être humain, et finalement notre conception de celui-ci…